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Enjeux sociaux des ZFE à Paris et Lyon

Présentation

Introduction

Formulée le plus souvent en dehors ou à côté des problèmes sociaux, l’action publique visant à contraindre ou sanctionner les comportements réputés contraires aux enjeux environnementaux recomposent les inégalités socio-spatiales. L’accès aux alternatives aux pratiques polluantes, aux formes multiples de dérogations et plus largement aux ressources publiques qui leur sont associées, pose inévitablement des questions d’équité et de justice sociale que le mouvement des Gilets jaunes a, par exemple, contribué à remettre au-devant de la scène politique et médiatique. Les ZFE-m sont à cet égard un cas d’école, dans la mesure où les périmètres et échéances des interdictions de circulation, mais aussi les aides et dispositifs qui les accompagnent, font l’objet d’arbitrage mettant en tension des intérêts sociaux contradictoires. Les différents problèmes publics qui ont été portés autour des ZFE-m participent à l’orientation de ces arbitrages.

Objectifs

Cette recherche vise à saisir les différents cadrages des problèmes publics associés au dispositif ZFE et la façon dont ils orientent la prise en compte d’intérêts et de besoins socialement différenciés. Différents objectifs ont été progressivement assignés aux ZFE. Trois d’entre eux – dessinant des problèmes sanitaires, industriels et climatiques, et enfin sociaux – retiennent notre attention. Au problème de santé publique, particulièrement perceptible dans les espaces populaires qui bordent les grands axes routiers, un problème industriel et climatique a fait des ZFE-m un moyen d’accélération de l’électrification du parc automobile en France. Solution privilégiée pour maintenir la mobilité dans les ZFE-m, celle-ci pose toutefois un épineux problème d’équité. À lire la communication gouvernementale destinée à accompagner l’établissement des ZFE-m et les débats politiques actuels, le problème social que poserait la ZFE-m concernerait essentiellement les habitants des territoires périurbains. Tout se passe comme si le problème des alternatives à la voiture avait déjà été réglé à l’intérieur des métropoles. Les territoires urbains partageraient alors un intérêt commun aux ZFE-m, fondé sur un certain équilibre entre contrainte sur la mobilité et bénéfices sur la qualité de l’air. Pourtant, en Seine-Saint-Denis par exemple, département partiellement intégrée à la ZFE-m de la métropole du Grand Paris, trois véhicules sur quatre seront interdits de la circulation en 2025. Les aides existantes notamment fondées sur critères de revenues, suffisent-elles à répondre à cet enjeu social ?

Au final, ces cadrages dessinent des intérêts socialement et spatialement différenciés. C’est en particulier dans les espaces populaires urbains que ces différents enjeux qui entourent le dispositif des ZFE entrent en confrontation. Amplifier les mesures dérogatoires fait toutefois courir le risque d’un moindre impact sur les pollutions particulièrement nocives dans ces espaces. Le présent projet de recherche propose donc de décaler le regard en se focalisant sur des territoires ou des publics pour lesquels l’horizon de l’électrification accélérée du parc automobile est susceptible de renforcer les inégalités.  Comment les décideurs publics locaux et nationaux apprécient-ils les effets de cette politique environnementale sur la mobilité des individus et ménages aux revenus modestes ? Sur quelles représentations de la mobilité des précaires cette appréciation est-elle construite ?

Méthodologie

L’enquête proposée s’inscrit dans une approche qualitative puisant ses méthodes dans une sociologie de l’action publique ouverte au dialogue interdisciplinaire. Le chercheur rejoint en particulier une sociologie néomarxiste des problèmes publics qui vise à apprécier la manière dont les institutions construisent des problèmes publics et répartissent les ressources entre diverses catégories sociales à partir de ces constructions.

Il étudie des territoires où les politiques de ZFE-m accompagnent les restrictions de circulation parmi les plus fortes en France tout en faisant l’objet de stratégies d’action différentes : la Métropole du Grand Paris et de Lyon. Le cas des ZFE permet ainsi de saisir des configurations territoriales d’action publique dans lesquelles sont négociées des modalités de mise en œuvre diversifiées du dispositif. Les personnes rencontrées participent à l’action publique au niveau administratif et expert, ou sont mobilisées par les enjeux auxquels sont confrontées les ZFE ou encore engagées dans un travail de représentation politique.

Références bibliographiques

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Lucas CHANCEL, Insoutenables inégalités : pour une justice sociale et environnementale, Paris, Les Petits Matins, 2017 ;

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Valérie Deldrève et Jacqueline Candau, « Produire des inégalités environnementales justes ? », Sociologie, 2014, vol. 5, no 3, p. 255‑269 ;

Sophie Dubuisson-Quellier et Jean-Baptiste Comby, « Vers une politisation des mobilisations écologiques ? », La Vie des idées, mai 2023 ;

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Antoine Lévêque,  « Une double absence dans les quartiers populaires ? Ancrage politique en déclin et relégation dans l’action publique », Politix, 2023, n° 144 (4) ;

Jean-Marie Pillon, « Stéréotypes idéaux. L’instrumentalisation des « freins périphériques » à Pôle emploi », Socio-économie du travail, 2018, no 2, p. 165‑195 ;

Fabrice Ripoll, « Résister à « la mobilité ». (Dé)placements, inégalités et dominations », inAccès et mobilités. Les nouvelles inégalités, Clermont-Ferrand, Infolio, Archigraphy poche, 2015, p. 103‑191 ;

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Anne-France Taiclet, « Du temps concédé. L’allongement temporel comme produit des luttes politiques autour des restructurations du secteur public : le cas de l’extinction des charbonnages en France », Gouvernement et action publique, 2021, VOL. 10, no 2, p. 89‑111 ;

Philippe Warin (dir.), Le non-recours aux politiques sociales, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2017.

Equipes de recherche

Coordination : Arnaud Passalacqua (Professeur en aménagement de l’espace et urbanisme EUP, Lab’Urba) et Antoine Lévêque (post-doctorant au Lab’urba et enquêteur principal) ; comité scientifique : Jean-Marie Pillon, Maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine, IRISSO et Maxime Huré, Maître de conférences, HDR, en science politique à l’université de Perpignan (CDED, Triangle).

Contact

Antoine Lévêque : antoine.n.leveque@gmail.com