Soutenance de thèse de Clément Luccioni
Clément Luccioni a soutenu sa thèse intitulée « L’hospitalité comme projet. Mobilisations collectives et expériences intimes de la solidarité dans l’Europe de la « crise migratoire » (Paris-Berlin, 2015-2020) ».
Elle a eu lieu le mardi 17 septembre 2024.
La thèse est consacrée à l’hospitalité offerte par des habitant·es à des personnes exilées, une forme de solidarité qui a fait l’objet de mobilisations et d’engagements inédits en Europe depuis la « crise migratoire » de 2015. À travers l’étude de deux associations ayant fait de l’hospitalité leur projet, l’enjeu de la recherche est de comprendre les effets des mutations contemporaines de la solidarité, en termes d’action collective et d’expériences individuelles. La réflexion repose sur l’analyse d’un matériau mixte : une étude de discours publics, une enquête ethnographique dans des associations, une soixantaine d’entretiens avec différent·es acteur·rices et une étude statistique portant sur près d’un millier d’accueillant·es et d’accueilli·es.
La première partie de la thèse interroge l’hospitalité́ en tant qu’objet d’actions collectives, à travers l’étude de deux associations, Rouge à Paris et Vert à Berlin. Dans les deux villes, des bénévoles sont devenu·es des entrepreneur·euses de la cause de l’hospitalité́, en s’efforçant de défendre leur projet dans l’espace public et de lui faire une place sur le marché́ néolibéral de la solidarité́. Les deux associations se distinguent l’une de l’autre par le cadrage de leur action, leur ancrage militant et leur rapport à la conflictualité́ mais elles illustrent ensemble l’ambivalence du projet de l’hospitalité́, qui fait à la fois l’objet de dynamiques de politisation et de policisation. Toutefois, en dépit de ces différences politiques, les salarié·es et les bénévoles des deux structures doivent jouer un rôle similaire, celui d’intermédiaires de systèmes d’hébergement et de logement qui excluent de nombreuses personnes exilées.
La seconde partie se penche, depuis le terrain parisien, sur les enjeux de l’hospitalité́ en tant que pratique intime et domestique. En grande majorité, les accueillant·es sont fortement doté·es en capitaux, français·es, perçu·es comme « blanc·hes » et en âge d’être parents ou grands-parents. Iels hébergent des personnes étrangères dites « refugiées », souvent jeunes, perçues comme non « blanches » et en situation de précarité́ résidentielle et de déclassement social. L’hospitalité́ donne alors lieu à des relations asymétriques qui mêlent inégalités et partage de ressources, solidarités et rapports de pouvoir. Si les récits des accueillant·es comme des accueilli·es sont majoritairement positifs, l’hospitalité ne constitue pas toujours un point de bascule pour les personnes exilées, dont les parcours restent souvent durablement marqués par la difficulté à trouver un emploi stable et un logement.
La thèse souligne ainsi que l’hospitalité́, aussi bien comme projet collectif que comme pratique individuelle, constitue moins un moyen de lutte contre les frontières qu’un outil de régulation et parfois même de renforcement de celles-ci.
Jury
- Alexa FÄRBER, professeure en ethnologie européenne à l’Université de Vienne, co-directrice
- Christine LELÉVRIER, professeure en aménagement et urbanisme à l’Université Paris-Est Créteil, directrice
- Pierre MONFORTE, associate professor de sociologie à l’Université de Leicester, rapporteur
- Walter NICHOLLS, professeur en aménagement et urbanisme à l’Université de Californie, Irvine, examinateur
- Elise ROCHE, professeure en aménagement et urbanisme à l’Université Lumière Lyon 2, rapporteure
- Nikola TIETZE, chercheuse en sociologie au Centre Marc Bloch (Berlin) et associée au Lise (CNRS-Cnam, Paris), examinatrice
- Serge WEBER, professeur de géographie à l’Université Gustave Eiffel, examinateur